Fakemed : croyances et déconversion. 

Par zeteditor
croyances granules d'homéopathie dans un sucrier et un café

Prendre conscience de ses propres croyances, comprendre d’où elles viennent et comment les déconstruire n’est pas chose aisée. Même quand on est vétérinaire, c’est à dire avec un certain niveau d’études et de bonnes bases scientifiques. 

Le chemin peut parfois être long entre le début de la prise de conscience et le détachement total de la croyance. Les racines des croyances sont souvent profondes, liées à l’éducation, la culture, l’historique familial, etc. 

Je suis d’éducation et de culture catholique. La génération de mes grands-parents était très croyante et pratiquante, celle de mes parents un peu moins. (ça me semble important de le préciser car avec du recul, une culture religieuse, même sans une foi profonde, peut représenter un terreau fertile pour d’autres croyances et quel que soit le domaine). Un grand-père médecin, des parents paramédicaux, des oncles et tantes dans les milieux médicaux, la biologie, on avait quand même quelques bases médicales dans la famille. Mais comme dans de nombreuses familles, il y avait toujours un tube d’arnica, ou d’apis mellifica ou d’oscillococcinum dans l’armoire à pharmacie au milieu du reste. Bref, j’ai grandi avec l’homéopathie (pour les petites choses bénignes), conseillée à mes parents tantôt par un ami pharmacien, tantôt par des amis homéopathes (et anthroposophe pour l’un d’eux). 

Les années en école vétérinaire n’ont pas remis en cause cette croyance, entre le colocataire qui en 5e année faisait une année d’étude en homéopathie à Liège en guise de projet personnel ou la semaine « médecines alternatives » en 5eme année rurale où l’on nous parlait de phytothérapie, d’homéopathie, de gemmothérapie, d’aromathérapie, etc. J’ai peut-être une mémoire sélective de mes années d’études en ENV, mais je n’ai pas souvenir d’avoir reçu des notions claires d’esprit critique ou de scepticisme. Peut-être que certains professeurs ont évoqué certaines médecines dites alternatives sur le ton de la plaisanterie, mais pas tous, et c’était plutôt anecdotique.

Quand j’ai commencé à travailler, mon patron, qui deviendra plus tard mon associé, utilisait régulièrement les complexes homéopathiques de chez Boiron (Wombyl® , Traumasédyl® pour les plus connus), donc j’ai commencé aussi tout naturellement à les prescrire, d’autant plus qu’il y a pas mal d’éleveurs bio dans la clientèle, très demandeurs de ces médicaments à délai d’attente nul (et recommandés assez explicitement par le cahier des charges AB). Même en connaissant le principe de fabrication, le principe des dilutions, l’absence de réelle preuve d’efficacité, je passais outre toutes ces questions, étant donné que les éleveurs trouvaient que ça marchait et en redemandaient. 

Au point que j’ai souhaité approfondir mes connaissances dans le domaine en faisant une formation au CEDH (Centre d’Enseignement et de Développement de l’Homéopathie) qui est une filiale de Boiron. (effectivement, c’est le délégué Boiron qui nous avait parlé de cette formation, et cette formation était dispensée par une vétérinaire travaillant pour Boiron.)

La formation comportait 6 ou 7 modules de 2 jours répartis sur un peu plus d’un an si je me rappelle bien. Sur le moment, j’avais trouvé ça intéressant, mais je ne me suis pas transformée en vétérinaire homéopathe pour autant, ayant toujours conscience des limites de cette thérapeutique. Mais j’avais l’impression de savoir mieux utiliser / prescrire les remèdes homéopathiques et je voyais ça comme une corde de plus à mon arc de praticienne. Précision : je ne dis pas ça pour minimiser ma croyance, c’est juste que je n’ai jamais été à fond dans cette pratique, tout en la défendant et en n’admettant pas à cette époque qu’il s’agissait d’une croyance.

Par la suite, j’ai même acheté des livres sur le sujet, compulsé des matières médicales, mais sans pour autant aller vers l’homéopathie uniciste. Rétrospectivement, je pense que ma croyance était assez molle et paresseuse sur le sujet. Par ailleurs, concernant les pseudomédecines ou pseudosciences (je ne les nommais pas comme ça à ce moment là), même à cette époque là, j’avais des limites. L’ostéopathie « énergétique » et toute autre thérapie « énergétique », la naturopathie, l’acupuncture, le reiki etc ne rentraient pas dans mon champ de croyances, même si j’avais des amis et connaissances qui étaient dedans. J’avais aussi entendu parler de biodynamie, mais ça me paraissait un peu trop perché pour le coup (et j’ignorais à ce moment là les liens entre biodynamie et anthroposophie).

Puis en août 2018, alors que je suivais depuis quelques temps une chaîne Youtube qui parlait d’astronomie et d’astrophotographie (Astronogeek, par Arnaud Thiry), je vois le titre d’une vidéo nouvellement parue « La vérité sur les crop circles ». Ce titre m’intrigue, les crop circles, je vois à peu près ce que c’est, je sais que certains y voient un message extraterrestre, mais ce n’est pas mon cas. La simple curiosité m’amène à regarder ces vidéos, sans savoir à ce moment là où ça me mènerait. 

Il s’agissait d’un projet rassemblant plusieurs youtubeurs sceptiques, férus de zététique (je découvre alors ce terme qui m’est à ce moment là complètement inconnu ainsi que la démarche associée) : Astronogeek donc, accompagné de La Tronche en BiaisUn Monde RiantHygiène Mentale, Defakator et deux spécialistes « ufosceptiques ».

Ils ont mené ce projet à l’initiative d’Arnaud Thiry et chacun en a fait une ou plusieurs vidéos de son propre point de vue. 

Les 3 vidéos d’Arnaud Thiry exposent la genèse, la réalisation et les conséquences du projet : dessiner dans un champ de blé une figure faite de cercles et de lunules alignés mimant une « géométrie sacrée » bien évidemment sans que personne ne le sache, et voir si les croyants seraient capables d’en déceler l’origine humaine. 

La première vidéo présente la création de la figure en moins de deux heures pendant la nuit par sept personnes, à l’aide de planches, de cordes et de décamètres. 

La deuxième vidéo montre les avis et témoignages des personnes s’étant rendues sur le crop circle. (alors que personne ne savait encore qui en était à l’origine, c’était donc une expérience en aveugle). Pour résumer, si un spécialiste (scientifique) des crops circles (Gilles Munsch, auteur du rapport VECA sur les indices qui prouvent qu’un crop circle est d’origine humaine) trouve en 5 minutes différentes preuves de son origine humaine, tous les croyants y voient des preuves de création non humaine / extraterrestre (d’ « énergie » et de « taux vibratoire » en complotisme, c’est effarant).

La troisième vidéo expose les témoignages et arguments de « spécialistes » autoproclamés en crop circles et tenants de l’hypothèse extraterrestre de leur l’origine. Cette vidéo montre que ces « spécialistes » sont incapables de déceler l’origine humaine de cette figure là… 

C’est un résumé très rapide, mais ces vidéos valent vraiment le détour. Et tout ça a une importance assez fondamentale dans mes questionnements futurs.

Au delà de la démonstration que les tenants de l’origine extraterrestre des crop circles ne savent pas déceler en aveugle l’origine humaine d’un crop circle, ces vidéos m’ont surtout fait découvrir la zététique, l’esprit critique et le scepticisme. 

En effet, quelques principes d’esprit critique y sont exposés (et répétés) :

– Ce qui est affirmé sans preuve peut être rejeté sans preuve

– Une affirmation extraordinaire demande des preuves plus qu’ordinaires

– La charge de la preuve incombe à celui qui avance un fait

– Un argument irréfutable est irrecevable

– Une expérience biaisée est irrecevable

Sur le moment, tout ceci me semble très intéressant et rempli de bon sens, notamment s’agissant d’un sujet pour lequel je n’ai pas de croyances (les crop circles et leur origine). Je parcours ainsi les différentes chaînes associées et constate que l’homéopathie (et les pseudomédecines) est un sujet largement abordé par les sceptiques et zététiciens.

Donc ceci fait rapidement écho à mes propres croyances (ne serait-ce que pour me faire prendre conscience qu’il s’agit bien de croyances)

Alors la croyance a commencé à se fissurer sérieusement. Mais pas assez pour abandonner complètement le recours à l’homéopathie (… de la difficulté à remettre en question voire déconstruire une croyance.)

Plus tôt en 2018, la publication dans la presse d’une tribune signée par 124 médecins s’opposant au recours aux médecines alternatives puis un avis de l’Ordre des Médecins allant dans le même sens avait fait l’actualité sur les réseaux sociaux, dans les groupes vétérinaires notamment, et avait entraîné des empoignades magistrales entre pro- (dont je faisais encore partie) et anti-médecines alternatives (avec l’homéopathie en tête). 

C’est suite à ces échanges qu’a été fondé le collectif (devenu ensuite association) Les Zétérinaires. Ils créent rapidement un groupe facebook accessible à tout vétérinaire même non membre. Paradoxalement, je m’y inscris, dans l’idée de voir ce qui se dit là-bas. (Pour autant, je ne suis pas une taupe, n’ayant à rendre de comptes à personne à ce sujet !)

Et à ce moment là encore, je trouve parfois les publications ou interventions de certains membres de ce groupe (qu’ils soient membres des Zétérinaires ou simplement sympathisants) assez virulentes et j’aurais tendance à les rejeter pour cette raison, mais elles sèment tout de même des graines d’esprit critique.

Il a fallu attendre 2020 et la pandémie de COVID 19 pour que survienne l’estocade finale et le coup de grâce.

Les confinements successifs, les différentes polémiques autour des remèdes miracles d’un certain professeur, puis l’arrivée d’un vaccin, tout ça a contribué à des prises de positions radicales, à une montée du complotisme et du mouvement anti-vaccin. 

Je me suis rendue compte avec effroi que parmi mes connaissances notamment, mais pas seulement, les plus croyants (que ça soit en terme de religion, de pseudomédecine et pseudoscience – homéopathie, naturopathie, reiki, communication animale par exemple, et je ne parle même pas de politique) étaient les plus virulents des antivaccins et complotistes et qu’il devenait impossible de discuter avec eux sereinement sur tout ce qui concernait la pandémie, la vaccination etc. et plus globalement la santé. 

C’est là que j’ai pris conscience qu’il m’était désormais impossible de continuer à croire en une pseudomédecine (l’homéopathie) et d’y avoir recours même sous prétexte d’effet contextuel, tout en étant par ailleurs convaincue du bien fondé des différentes mesures sanitaires prises en ce temps de pandémie, de l’efficacité de la vaccination et de la médecine en général. Je crois qu’on appelle ça une dissonance cognitive. Dans ces cas là, pour résoudre la dissonance, soit on fait l’autruche, soit on remet fortement en question sa croyance, voire on l’abandonne. 

En 2021, l’avis de l’Académie Vétérinaire de France sur l’homéopathie ainsi que le déremboursement de l’homéopathie par la sécurité sociale ont refait parler de l’homéopathie et m’ont confortée dans l’abandon de cette croyance. 

Concrètement, et sans que ça soit le fruit d’une prise de décision à un moment particulier (j’entends par là que ça s’est fait naturellement) j’ai depuis 2018 progressivement arrêté de conseiller – et complètement à ce jour (et quasi arrêté de prescrire, sauf demande spécifique des éleveurs). Entre temps, depuis 2019 de nouveaux confrères et consœurs sont arrivés dans l’équipe du cabinet et ils n’utilisent pas l’homéopathie. 

Notre CA de vente de préparations homéopathiques qui avait atteint un summum entre 2012 et 2017 a commencé à baisser vers 2018-2019 puis a baissé de 28 % entre 2019 et 2020, de 40 % entre 2020 et 2021 et à nouveau de 40 % entre 2021 et 2022. (et le CA 2022 est inférieur de plus de 85 % au CA maximum en 2016). (Ce sujet peut paraître anecdotique mais cet aspect économique est pour moi une trace concrète de la remise en cause puis de l’abandon de cette croyance).

Très récemment, j’ai découvert le podcast Méta de Choc qui traite de métacognition (pourquoi pense-t-on ce qu’on pense?) et donne régulièrement la parole à des croyants « repentis » dans de nombreux domaines (de l’anthroposophie au reiki en passant par l’astrologie, le coaching/développement personnel, l’ésotérisme new age etc) et permet de prendre connaissance d’une part des mécanismes qui créent puis renforcent les croyances et d’autre part de ce qui permet de les remettre en question et de les déconstruire. 

J’ai aussi écouté différentes conférences des Rencontres de l’Esprit Critique de Toulouse et l’une d’elle traitait de l’entretien épistémique, technique qui permet de discuter avec un croyant et de l’amener à se questionner lui même sur sa croyance, et la confiance qu’il place dans celle-ci. 

L’un des outils de cet entretien épistémique est appelé le recours à un « clone négatif ». Il s’agit de placer sur le même plan la croyance de la personne avec une croyance qui lui semblera complètement farfelue et pourra alors le conduire à ensuite remettre en question sa propre croyance. 

Rétrospectivement, je crois que les vidéos de différents zététiciens sur les crop circles ont joué ce rôle de clone négatif pour moi et m’ont amenée à m’interroger sur ma croyance en l’homéopathie, et ce bien plus efficacement qu’une approche plus frontale (du genre des débats sur différents groupes facebook vétérinaires qui conduisent à des empoignades où chacun finit par camper sur ses positions) ou des discours plus ou moins méprisants ou moqueurs. 

Et maintenant ? 

Ce cheminement m’a fait réaliser que le scepticisme ne se borne pas à un seul domaine, les pseudomédecines dans mon cas, et que toute croyance peut passer dans ce crible. Cela peut-être déstabilisant dans d’autres domaines de la vie, même si il n’est pas non plus question de renoncer à toute croyance. 

Avoir conscience de ses propres croyances, des mécanismes qui les sous-tendent permet d’avoir un certain recul sur celles-ci et d’être plus vigilant.

Encore faut-il savoir que nos croyances sont des croyances et pour cela, la diffusion du travail des sceptiques que ça soit sous la forme de témoignages, de mise à l’épreuve face à la méthode scientifique ou de démystification par exemple, est fondamentale. 

Je suis convaincue qu’une partie des graines d’esprit critiques semées çà et là germeront à un moment donné et qu’il faut continuer à semer inlassablement.