Rhumatovet, la cerise sur le gâteau* pique un peu
Le jeudi, c’est sport en salle. Le vélo-assis combine plusieurs avantages : dépense énergétique, protection d’un ménisque qui tente de se faire la malle et mains assez libres pour manipuler un portable afin de lire des articles ou replayer des webinaires. D’habitude je fais des trucs soft qui ne demandent pas trop de disponibilités neuronales, genre thérapie laser ou ostéo énergétique (les mouvements de mains ont au moins des vertus apaisantes pour ceux qui les regardent). Aujourd’hui, je décide de faire du sérieux, du dur, du qui laisse peu de place à la rêverie, en bref… de l’ortho.
Je me suis inscrit à la série de webinaires Rhumatovet produite par Elanco. J’avais rapidement regardé les intervenants, les premiers sujets, et j’étais intéressé par le chapitre sur les infiltrations. Je n’avais alors pas compris que l’infiltration dans ce programme sérieux, c’était celle de la magie chinoise, de son rejeton massant : le tuina, et de sa fille tisane.
Comme je suis ouvert d’esprit et curieux de tout (et que j’avais encore 150kcal à dépenser avant d’aller avaler mes croissants au beurre), je me suis lancé dans la lecture du chapitre consacré aux Médecines Alternatives et Complémentaires (MAC), et intégratives, et quantiques, et marmitonesques, et mon cul c’est du poulet.
Bon, autant dire que dès le départ, l’intervenant a enfilé les arguments rigolos comme ma nièce enfile les perles (made in China elles aussi d’ailleurs). Je ne vais pas tous vous les faire, mais un petit tour d’horizon s’impose tellement on est dans la caricature.
Le début de l’intervention consiste en la définition des MAC avec la technique de l’enfumage habituel :
- pas d’explications sur le caractère alternatif (un peu dangereux quand même)
- « toutes les médecines se complètent » °cœur avec les doigts°
- introduction de l’adjectif « intégratif » qui ne veut rien dire mais qui fait fureur dans les « milieux autorisés » comme disait l’autre
Un petit appel à l’exotisme oriental pour clôturer : « …dans les hôpitaux chinois, les médecines chinoise et occidentale se côtoient pour le bénéfice des patients ». Argument imparable quand on connaît la grande possibilité qu’ont les chinois de manifester leur mécontentement à l’égard de leur système de soins ou de la politique en général.
Nous continuons avec un petit quizz pour se remettre de cette première salve.
« Quelle(s) pratique(s) suivante(s) est/sont des médecines alternatives et complémentaires ? »
- l’acupuncture ?
- la phytothérapie ?
- aucune des deux ? »
Tic, tac, tic, tac… attention il y a un piège… tic, tac… putain quel suspens !!
Et la bonne réponse est : « aucune des deux ». Merde, j’ai raté, c’est un coup à ne pas valider mes points de formation, çà !
L’explication est donc la suivante : « Ce ne sont pas des Médecines Alternatives et Complémentaires, ce sont des Thérapies Alternatives et Complémentaires, d’ailleurs c’est clairement indiqué dans le terme Phyto-thérapie ». (ça marche moins bien avec acupuncture, digitopuncture ou ostéopathie mais on dirait bien qu’Elanco ne soit pas très regardant avant de signer des chèques)
Je vous passe l’origine de cette feinte linguistique mémorable parce que de toute façon, on continuera à dire Médecines au lieu de Thérapies dans le reste de la vidéo.
J’ai comme l’impression que cette étape totalement ubuesque et inutile était juste là pour faire abandonner les non croyants afin de réserver la suite à un public acquis.
C’est bien joué car ça a failli marcher.
Quelle sera la suite, au fait ?
On est prévenu directement, la suite, c’est « quelques recettes ».
Vous vous attendiez à quoi ?
À de la science ?
Mais vous rêvez ou quoi ?!
En fait oui, je rêve. Bercé par le ronronnement de mon Recline 2000 (je pédale, je vous rappelle) mon esprit s’évade dans un monde où MAC veut dire Marmiton Alternatif et Complémentaire, où le chef Molinier donne des recettes contre l’arthrose et où les petits acupuncteurs en herbe peuvent faire des commentaires :
– MrZ33 : super, j’ai remplacé VB7 par C22 en déficit de yin et c’était bien aussi.
– FleurdeLotus : bonne recette pour les chiens, tu as essayé sur les pigeons ?
– DrLiZon : pas mal, mais en remplaçant les aiguilles par une moxibustion, on a une petite odeur fumée. Les enfants et les esprits éthérés adorent.
Je suis brutalement sorti de ce monde pas si imaginaire finalement (j’ai déjà assisté à une conférence acupuncture à l’AFVAC, je vous garantis que ça plane sec), car l’intervenant signale à mon grand dam qu’on ne parlera pas d’ostéopathie (oh dommage, moi qui rêvais tant d’en savoir plus sur les chakras et le diagnostic cœnesthésique).
Je ne reste tout de même pas sur ma faim car comme tout camelot qui dit veut vendre son truc, on va quand même parler d’ostéo via sa composante architecturale : la fumeuse tenségrité (Elanco n’a pas payé pour rien, il y a toute la panoplie des comparaisons foireuses).
Bon, on va faire bref :
Vous voyez un pont ?
Vous voyez un chien ?
Vous enlevez des haubans au pont, il se casse la gueule.
Pareil pour le chien.
C’est ça la tenségrité.
Vous pouvez essayer chez vous avec une table de salle à manger et un hamster (faites gaffe quand même).
Cette vidéo commence à être longue et je vois le compteur de mon appareil qui approche la fin de l’exercice, heureusement Elanco a pensé à insérer un instant humour dans la présentation et à valider définitivement le bingo des pseudosciences.
Je cite :
« Loin de se fonder sur des concepts ésotériques qui pourraient rebuter le néophyte, les médecines alternatives et complémentaires dignes de ce nom s’appuient sur des principes scientifiques solides ; bien que souvent issues de cultures ancestrales, leur compréhension fait appel à des notions physiques récentes en particulier en physique quantique… »
Et voilà, le mot est lancé dans un final aussi faux que éblouissant :
(comme d’habitude)
Des visages rouges et luisants de sueur se tournent vers moi en essayant de comprendre pourquoi je me suis évanoui juste au moment où ma machine annonce la fin de l’exercice.
Pas d’inquiétude, je viens juste de faire un micro coma en essayant d’imaginer ce que pouvait être une MAC non-« digne de ce nom ». J’imagine le RéPAAS qui trie dans les charlataneries :
– Bon les gars, la gemmothérapie, c’est digne de ce nom ou pas ?
– Ben oui, et en plus ça finit par -thérapie, alors on valide.
– Ouais mais le truc bizarre avec la pyramide… comment ça s’appelle déjà ?
– …képhrénothérapie, je crois.
– Merde ça finit aussi par -thérapie, notre théorie tombe à l’eau, on valide ou pas ?
– Bah évidemment, on est ouvert d’esprit nous, et puis l’effet Kirlian même Molinier en parle dans la bible d’acupuncture.
Réveil.
La vidéo se termine, ma séance aussi.
C’est fini, vous n’en saurez pas plus, vous serez obligés d’imaginer la suite, de rêver de digipuncture (SPOIL « Si le muscle est dur, il faut tourner dans le sens des aiguilles d’une montre, sinon il faut tourner dans le sens inverse, les raisons se trouvent dans la médecine chinoise et c’est trop long à expliquer »), d’imaginer des mélanges de plantes aux vertus anti-inflammatoires que les propriétaires gogos donneront probablement en remplacement de traitements éprouvés (si si, il y a alternatif dans MAC) aux détriments de la santé des animaux.
Retour à la réalité.
L’entrisme pseudo scientifique et l’obscurantisme naviguent joyeusement dans toutes les couches de la société vétérinaire, les animaux vont en souffrir (certains en souffrent déjà). Elanco a besoin de sous comme tous les labos, il faut un public large.
Par contre, je ne comprends pas comment les autres intervenants de cette série de webinaires peuvent accepter de ranger leur travail dans le même tiroir que les délires énergétiques d’une médecine dépassée.
*Cette série de webinaires est vraiment bien faite par ailleurs, je vous recommande d’y jeter un œil. Par contre, puisque son accès est soumis à des conditions commerciales, demandez une ristourne supplémentaire sur le simple principe qu’Elanco possède suffisamment de fonds pour financer les pseudosciences, il doit bien en rester un peu pour vous.
il n’est pas possible de dissocier l’efficacité d’une pratique et les théories qu’elle véhicule.
La pratique doit prouver son efficacité mais elle doit aussi prouver la véracités des principes sur lesquels elle repose et enfin prouver qu’il y a une relation entre les principes et l’efficacité.
L’acupuncture a pour principe le Qi et les méridiens.
Malgré de gros efforts il est toujours impossible de prouver leurs présences ce qui rend leurs existences peu vraisemblables.
Il n’est en effet pas possible de prouver l’inexistence de quelque chose mais cela peut s’estimer à la faveur de notre incapacité à prouver qu’elle existe, c’est le cas des licornes, du yéti ou des principes de l’acupuncture.
Actuellement les acupuncteurs font appel à de nombreuses hypothèses pour tenter de légitimer leur pratique mais cela ressemble plus à un millefeuille argumentatif et aussi à la fable du dragon de Sagan (une surabondance d’hypothèse où chaque hypothèse nouvelle est émise pour tenter de justifier la faiblesse de l’hypothèse précédente).
Pour la mise en évidence des méridiens on est aussi souvent dans un biais de confirmation : on arrose des tissus d’un colorant (je ne sais pourquoi les acupuncteurs affectionnent entre autre le bleu de tryptan, qui colore les cellules nécrotiques) et à l’examen histologique voit par parfois des lignes se dessiner.
Enfin, le plus important, quand on place les aiguilles en dehors des méridiens l’efficacité est identique ce qui va clairement à l’encontre de leur existence.
https://www.futura-sciences.com/sante/questions-reponses/medecine-acupuncture-t-elle-veritables-effets-13142/
https://www.inserm.fr/rapport/evaluation-de-lefficacite-et-de-la-securite-de-lacupuncture-2014/
Les principes de l’acupuncture vont à l’encontre de nos présupposés scientifiques actuels.
Si ceux-ci s’avèrent vrais alors il faudrait un changement total de paradigme.
La science peut, comme l’a décrit Hume, connaitre des révolutions.
Ce fut le cas avec la relativité générale par exemple.
Cependant ce changement s’effectue sous l’unique condition que le modèle proposé soit plus prédictif (accumulation de preuves en faveur de celui-ci) que l’ancien et non le contraire !
(cf la métaphore des mots croisés de Susan Haack )
https://cortecs.org/non-classe/susan-haack-la-metaphore-des-mots-croises-et-le-bras-long-du-sens-commun/
Oh !un biais d’anecdote!
Ouh la ! Quelle charge. Il faut bien connaître l’acupuncture pour la critiquer. Reconnue par l’OMS depuis plus de 20 ans comme efficace ( c’est à dire « nettement supérieure à l’effet placebo » ) dans une soixantaine de traitements, elle continue de m’émerveiller au quotidien dans ma clinique par ailleurs tout à fait généraliste. L’incontinence post stérilisation depuis deux ans qui stoppe en deux séances ( moins rentable que vendre du propalin) , le chien qui remonte dans le coffre de la voiture, la grossesse nerveuse qui stoppe de suite son comportement obsessionnel etc… . Un proverbe chinois dit: moins on en sait plus on est sur de soi. Je ne suis sur de rien mais j’apprécie les résultats et je respecte ce que je ne connais pas bien.
Biais d’anecdote? c’est bien ça?
Pour critiquer l’acupuncture il faut surtout connaitre la littérature scientifique sur le sujet. L’appel à l’autorité n’est pas un argument valable.
L’OMS dit bien que l’acupuncture est efficace pour un certain nombre de pathologie mais en aucun cas que l’effet est nettement supérieur à un placebo.
On voit dans votre réponse une forte méconnaissance de l’épistémologie.
Le principe d’une étude comparative en double aveugle est que ni le patient ni le praticien ne puisse faire la différence entre l’administration du traitement et l’administration du placebo. On peut tester la qualité d’un placebo en testant la capacité des gens à le différencier du traitement.
La quasi-totalité des études sur l’acupuncture ne sont pas comparatives, le placebo utilisé est tout à fait différenciable de la pratique testée.
Il existe pourtant un placebo pour l’acupuncture, il s’agit de la shame-acupuncture (ni le patient ni le praticien ne savent s’il y a ou non une aiguille dans le dispositif) mais étonnamment les acupuncteurs refusent à utiliser ce procédé pour démontrer un effet de leur pratique supérieure à l’effet placebo.
Les études utilisant la shame-acupuncture n’ont pas de taux de positivité supérieur à celui attendu par le hasard.
erratum : la quasi-totalité des études sur l’acupuncture ne sont pas en DOUBLE AVEUGLE
Cela fait longtemps que nous savons que notre perception du monde qui nous entoure est biaisée, fortement influencée par nos croyances, les souvenirs de nos expériences passées.
Contrairement à vous je ne fais pas confiance à mes intuitions, j’utilise une démarche scientifique qui consiste essentiellement à ne pas répéter les erreurs du passé.
Une expérience personnelle, aussi convaincante qu’elle puisse vous paraitre n’est en aucun cas une preuve en médecine. La pensée intuitive a conduit à considérer pendant deux millénaires la saignée comme étant la panacée. La pensée scientifique est méthodologique (elle s’appuie sur l’épistémologie) et passe par une longue et rigoureuse démonstration, elle n’est pas applicable pour tout mais elle est le meilleur moyen de ne pas se tromper et des plus recommandable en médecine.
La pensée intuitive mème bien souvent le praticien vers la pensée magique.
Enfin il n’est pas toujours évident de délimiter la frontière entre ce qui est du bien-être et la guérison d’une maladie.
L’OMS ne fait pas de différence entre une médecine qui permet d’aller mieux (de guérir) et une médecine qui permet de se sentir mieux.
Pour illustrer mes propos l’expérience en lien sur des personnes asthmatiques est très éclairante. Si on se fie au ressenti des patients l’acupuncture et le placebo sont aussi efficace que l’albuterol mais quand on regarde des données biologiques et physiologiques sur les capacités respiratoires alors seul l’albuterol a montré un effet.
Actuellement tout laisse à penser que l’acupuncture est un placebo qui, de par son côté théâtral, permet d’apporter un bien-être sans pour autant guérir.
(https://www.nejm.org/doi/10.1056/NEJMoa1103319?url_ver=Z39.88-2003&rfr_id=ori:rid:crossref.org&rfr_dat=cr_pub%20%200www.ncbi.nlm.nih.gov).