Road trip aux pays des croyances, aller et retour : récit d’une Moldue anonyme
Une fois n’est pas coutume : parmi de nombreux articles sérieux et sourcés, celui-ci sera une présentation ; le témoignage d’un cheminement personnel vers des croyances et leur déconstruction.
L’histoire d’une zétérinaire.
Et sûrement un écho à celle de beaucoup d’autres.
L’illusion de la facilité
« J’ai reçu ma lettre Poudlard lors d’un symposium d’ostéopathie à Oniris. C’est un week-end d’automne, il fait moche et il pleut, on se croirait à Londres sur le quai 9 ¾. C’est mon tout premier « congrès », je suis excitée comme un feu follet et, citrouille sur le gâteau, ça se passe dans mon École. Les fesses bien vissées en amphi, je suis subjuguée par les conférenciers. Bien habillés, sûrs d’eux, ils se pâment devant Still et Sutherland, dont j’ignorais jusqu’alors l’existence. Des révolutionnaires de la médecine, de grands noms de la lutte contre Les-Labos-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, des héros. On peut soigner par l’apposition des mains !
Le Poudlard Express ralentit, nous sommes à Pré-au-Lard.
Moi, l’apprentie sorcière-poulotte1, je sors de 3 ans de prépa chez les Moldus et je retape ma 1ère année. J’ai tout donné pour mon concours, je suis intellectuellement épuisée et la mauvaise blague du « tu verras, après la prépa c’est pénard » a du mal à passer. Soit les autres sont des dieux, soit je suis nulle…
Hum, vu le nombre des autres, ça doit plutôt venir de moi.
À ce symposium, il y a aussi des étudiants qui présentent leur mémoire. Ils font défiler des diapos avec des protocoles, des résultats, des interprétations… ça ressemble aux articles scientifiques qu’on a étudiés en cours. Par les caleçons de Merlin, ça a l’air bigrement sérieux cet’histoire ! Mais, chut, le Choixpeau fait la Répartition.
Force de traction médullaaaiiire!
Mouuvement respiratoiiire primaiiire !
Et j’en passe.
La magie opère… Le week-end s’achève, je n’ai rien compris à ce que peut bien être une dysfonction ostéopathique ou ce qu’est le cranio-sacré, mais ma décision est prise. Vu que c’est (vachement) plus simple en ostéopathie et que je suis (un peu) nulle, après mes études véto, je me formerai là-dedans. Et j’en ferai mon sujet de thèse.
Le temps passe sans que j’y repense vraiment jusqu’à mon stage avec une vétérinaire ostéopathe. Ce stage renforce considérablement mes convictions : mon aînée n’a, à mes yeux, rien d’un charlatan. Elle aime son métier, cherche à m’expliquer du mieux qu’elle le peut, me fait poser les mains, ressentir… Si des vétérinaires se forment à ce genre de pratiques (et les enseignent pour certaines et certains) alors ça marche, forcément ! Le courant passe et je sympathise avec elle. Elle me propose de faire une thèse en ostéopathie canine. Abracadabra !, et le sujet sera une étude rétrospective de sa clientèle. Je suis encadrée par un ancien prof de chirurgie, un peu perché façon Trelawney, mais pas méchant, plutôt enthousiasmé par l’idée. Le seul qui pratique l’ostéopathie à l’École. Dans le fond, je n’ai pas vraiment le choix.
Ma baguette magique de croyances à la main, je pose les bases avec lui : c’est quoi une dysfonction ostéopathique ?
« Des restrictions de mouvements entre les tissus de l’organisme.
– De la fibrose, alors ? Donc on peut le voir en chirurgie ou en imagerie !
– …Non, pas vraiment.
– Mais on peut mesurer des forces, alors ? Et quantifier en Newtons ? Donc si on peut mesurer, on peut objectiver s’il se passe quelque chose !
– Non. C’est plutôt un blocage d’énergie. Pas de force…
– D’énergie ? Ah, bah, on peut mesurer des Joules, alors ?
– Non. Aujourd’hui, on ne sait pas mesurer une dysfonction ostéopathique. Ça se sent avec les mains. »
Oubliette !
Mon sens critique prend un congé sabbatique. Je veux comprendre ! Alors, je m’accroche. Je lis le bouquin de Sutherland sur l’ostéopathie cranio-sacrée (n’y comprends rien), peste contre la BU qui n’a rien en biblio, râle contre PubMed… mais je m’accroche. Je définis mon protocole et commence mon étude (que la biblio aille se faire cuire une bouse de dragon, on verra après). Plus d’une centaine de comptes rendus de consultations d’ostéopathie et un déménagement à côté d’une ostéopathe plus tard, je suis toujours au point mort dans ma compréhension du sujet. Mais je ne lâche rien, j’y crois.
Il faut toujours revenir aux définitions
La rentrée en 5ème année marque un tournant. J’ai découvert que je ne suis pas faite pour la clientèle de proximité. Je me suis plantée sur un rare, mais scientifiquement décrit, cas de torsion pulmonaire chez un Carlin et pas un membre de l’équipe n’a su m’aider. Cerise sur le gâteau, j’ai été la seule mise au pilori devant la cliente. Une situation qui ne se serait jamais produite à l’École ou en centre de référés (enfin… ça, c’est ce que je croyais).
Je prends une nouvelle décision : je ferai un internat. Pour ça, je dois être bonne élève et passer ma thèse le plus vite possible. Mais mon maître de thèse ne me facilite pas les choses. Ma seule biblio se résume à l’ostéo4pattes (cf. infra) et à des livres de Still et Sutherland. Je commence à douter. Pourquoi est-ce si facile de trouver des articles sur la torsion pulmonaire et pas sur les bienfaits de l’ostéopathie ? Depuis maintenant 4 ans, on me répète que ça marche (et j’en suis convaincue/je veux y croire). Mais pourquoi pas un mot dans le JVIM2, le JVECC3 ou le JFMS4 ? Où sont ces articles ?
Le doute reste discret devant la panique qui monte. J’ai commencé mes stats, mais chou blanc en biblio. Heureusement, ma voisine ostéopathe a fait les 2 cursus : humain et animal. Elle me passe ses cours, jette un coup d’œil aux résultats et propose des modèles ostéopathiques qui ont l’air de coller. En moins d’un an, j’épluche la quasi-totalité de ses cours. J’ai l’impression de revenir au lycée. Tout est affirmé, les références scientifiques sont inexistantes. Le cursus « n’est pas aussi scientifique et poussé que le vôtre » m’explique-t-elle. Soit. Mais ça ne va pas beaucoup m’aider si on me demande d’expliquer les mécanismes lors de ma soutenance.
Malgré mes relances, mon maître de thèse est aussi volatile que Dumbledore. Je ne sais jamais où le trouver et il met de plus en plus de temps à répondre. Ses corrections se résument à changer l’allure d’un graphique, mettre des annotations, finalement non, le mettre dans le corps, non plutôt en annexe… non le corps, en fait. La discussion ? Pas tant que les résultats ne seront pas bien présentés.
Je n’avance pas. Le doute et le ton montent. Jusqu’au clash.
Nous sommes mi-avril, je suis retenue pour un internat privé et la date de soutenance est fixée à fin juin. Mais toujours aucune correction sur la discussion. Lorsqu’il m’annonce que je ne serai jamais prête avant décembre, j’explose. Décembre ?
Le grand mage s’emporte et tout le service de chirurgie en profite ; « je ne veux plus entendre parler de vous ! »
Stupéfix !
Moins d’un mois et demi avant ma soutenance, je m’assois et je pleure. Ou plutôt, je débarque comme une nuée de Chauve-Furies dans le bureau du 2ème membre de mon jury, aux allures de professeur Chourave et au tempérament de McGonagall. Je sèche mes larmes et me relève : ici, le doute est permis et mon travail est repris avec une main de fer. Sous sa supervision, j’approfondis mon approche, critique mon protocole, propose des alternatives déjà un peu plus rigoureuses. Ma nouvelle directrice de thèse n’est pas formée en ostéopathie, alors tant pis pour les modèles ; elle reconnaît ne pas pouvoir m’aider sur ce point. Pendant un mois, je bosse jusqu’à 16 heures par jour pour sauver les meubles. Si ma thèse est un peu moins catastrophique, je n’ai toujours pas compris ce qu’était une dysfonction ostéopathique.
Le doute est resté, le temps a passé. Après l’internat je me forme en imagerie. Les bases de médecine se consolident tandis que l’édifice de mes croyances se fissure comme un vieux château. La médecine devient un jeu et je prends un plaisir grandissant à assembler les morceaux d’anatomie, physiologie, pharmacologie et autres pour résoudre mes cas.
Lorsque je reviens en tant qu’AH (Assistant Hospitalier) à l’École, je reste très prudente devant les étudiants quand on parle des « médecines complémentaires ». Ma démarche est devenue plus scientifique, certes, mais je n’ai aucune preuve de l’efficacité de l’ostéopathie en médecine animale. Mais si je doute, j’ai du mal à élaborer mes arguments. Je ne sais pas non plus si ça ne « marche pas ». Quant aux autres « médecines alternatives », je n’ai aucune connaissance sur le sujet, je me sens illégitime pour les juger. Et je n’ai absolument pas le temps de me pencher sur la question.
Il me faudra attendre de tomber par hasard sur la vidéo de la Tronche en Biais sur Médoucine pour que mes croyances en ostéopathie volent enfin en éclats.
Avada kedavra !
À partir de là, tout va très vite.
Je découvre entre autres la zététique, Edzard Ernst, les chaînes de Fantine et Hippocrate, Richard Monvoisin, Nicolas Pinsault et… les rapports Cortecs, sur l’ostéopathie viscérale et crânio-sacrée. Je télécharge des articles, dévore des livres (Tricks or treatment d’Edzard Ernst, Gare aux gourous de Georges Fenech…), me rends aux Rencontres des Esprits Critiques de Toulouse. Je me sens comme une gamine qui découvre un tout nouveau terrain de jeux. C’est la deuxième fois que je découvre la médecine et tout ce qu’elle peut m’apporter.
Finalement, c’est le père d’une de mes anciennes étudiantes qui me soufflera le nom des Zétérinaires, une association vétérinaire promouvant la médecine basée sur les preuves et les faits.
Aujourd’hui, je n’ai pas honte de dire que j’ai cru aux techniques énergétiques, à la FTM (force de traction médullaire), au MRP (mouvement respiratoire primaire), la tenségrité5 et même l’hélice fasciale. Mais surtout, je peux dire que ces notions ne reposent sur rien de solide quand on connaît son anatomie, sa physiologie, sa médecine… et qu’on réfléchit trente secondes. Opposer à la médecine conventionnelle une « médecine holistique » qui prétend « prendre en compte le patient dans son intégralité » n’a pas de sens.
Parce que la médecine conventionnelle est holistique : tous les organes, de par leurs fonctions, sont liés entre eux et une atteinte de l’un d’eux est susceptible d’avoir des répercussions générales. Je ne soigne pas des symptômes, je m’efforce d’établir des diagnostics de certitude et de proposer des prises en charges adaptées à chacun, toujours avec le consentement éclairé du propriétaire. Je ne pourrais pas répondre à pourquoi, mais j’essaye toujours de comprendre, d’expliquer comment. Et si je ne sais pas, je reconnais mes limites et je reprends ma bibliographie. Je n’invente pas une intuition qui ne relève que de la pensée magique.
Les croyances sont tenaces, il m’aura fallu sept ans et une thèse pour en arriver là.
Je terminerai en rappelant qu’il n’y a pas plus de « médecine alternative » que de « science alternative ». S’il peut être difficile de déterminer et de décrire le fonctionnement de certains modèles, il sera toujours possible de proposer des protocoles pour évaluer leurs effets. Quand on y réfléchit, tout ce dont j’avais besoin pour ma thèse était en réalité déjà dans mes cours. Il faut toujours revenir aux définitions.
Aujourd’hui, j’exerce en référé exclusif pour une vingtaine de structures vétérinaires. Près d’un tiers d’entre elles proposent des « médecines alternatives ». L’ostéopathie est la plus représentée, suivie par l’acupuncture et la phytothérapie. J’en parle avec mes consœurs/confrères, pour comprendre leurs parcours, leurs points de vue, leurs arguments, comment ils exercent. Sans juger, je suis tout même mal placée ! Et parfois, j’essaye de semer le doute, d’amener à réfléchir… »
Encarts sous l’image ⬇︎
- 1poulot(te) : désigne un(e) étudiant(e) en 1ère année dans les Écoles Nationales Vétérinaires françaises ↑
- 2JVIM : Journal of Veterinary Internal Medicine ↑
- 3JVECC : Journal of Veterinary Emergency and Critical Care ↑
- 4JFMS : Journal of Feline Medicine and Surgery ↑
- 5notions d’ostéopathie cranio-sacrée détaillées dans le rapport CORTECS en octobre 2015, par le Collectif CORTECS (COllectif de Recherche Transdisciplinaire Esprit Critique et Science), demandé par l’Ordre des masseurs kinésithérapeutes, en libre accès à l’adresse : https://cortecs.org/wp-content/uploads/2016/01/CorteX-CNOMK_Ost%C3%A9o-cranio-sacr%C3%A9e_Janvier2016.pdf ↑
Crédits dessin titre et fin : thepaperbomb
Encart 1 : quelques définitions
L’ostéopathie animale, qu’est ce que c’est ? Sa définition juridique est codifiée dans la partie réglementaire du Code rural et de la pêche maritime par Décret n°2017-572 du 19 avril 2017, créant plus précisément l’article R243-6 :
« Pour l’application du 12° de l’article L. 243-3, on entend par “ acte d’ostéopathie animale ” les manipulations ayant pour seul but de prévenir ou de traiter des troubles fonctionnels du corps de l’animal, à l’exclusion des pathologies organiques qui nécessitent une intervention thérapeutique, médicale, chirurgicale, médicamenteuse ou par agents physiques. Ces manipulations sont musculo-squelettiques et myo-fasciales, exclusivement manuelles et externes.
Pour la prise en charge de ces troubles fonctionnels, les personnes réalisant des actes d’ostéopathie animale effectuent des actes de manipulations et mobilisations non instrumentales, directes et indirectes, non forcées. »
Qu’il ne faut pas confondre avec la physiothérapie, dont une définition est donnée par le Conseil National de l’Ordre des Vétérinaires, dans le procès verbal de session de mars 2019 :
« La Physiothérapie et rééducation fonctionnelle vétérinaire regroupe l’ensemble des techniques manuelles et instrumentales permettant le diagnostic et le traitement des troubles fonctionnels et lésionnels de l’organisme animal. Son champ d’application s’étend de la prévention de ces troubles, à la rééducation fonctionnelle, à la prise en charge de la douleur, au maintien de la qualité de vie des animaux et à la préparation physique à l’exercice sportif. Les actes de physiothérapie et rééducation fonctionnelle vétérinaire reposent sur une connaissance approfondie des sciences fondamentales et cliniques et sont conformes aux progrès de la science et à l’évolution des techniques. »
L’Ordre précise dans le procès verbal qu’il faut « distinguer les actes à finalités thérapeutiques qui relèvent de la compétence exclusive du docteur vétérinaire de ceux n’ayant aucune visée thérapeutique et effectuer uniquement en vue d’améliorer le confort de l’animal qui relèvent de toute personne titulaire d’une qualification adaptée à cette pratique. »
Rappelons que les personnes non vétérinaires pratiquant l’ostéopathie animale ne sont autorisées à le faire que si elles sont inscrites au RNA (Registre National d’Aptitude) disponible sur le site du Conseil National de l’Ordre Vétérinaire.
Encart 2 : place de l’Ostéo4pattes6 dans le domaine de la publication scientifique ?
Nous considérons ici qu’une revue scientifique est une revue référencée dans des moteurs de recherches, comme Google Scholar, et dans des bases de données scientifiques comme PubMed, Embase ou Sciencedirect. Avant sa publication, un article doit faire l’objet d’une relecture par un comité indépendant de chercheurs-pairs de la même discipline. Des revues de ce type ont été citées ci-avant (JVIM, JVEEC, etc). Il est possible d’évaluer la lisibilité de ces journaux en utilisant leur “impact factor” renseigné sur des sites comme Journal Citation Reports. L’impact factor est la moyenne du nombre de citations des articles de la revue sur les deux années précédentes. Nous comprenons donc qu’il s’agit d’une manière (quoique imparfaite) d’évaluer l’importance d’une revue donnée dans le domaine de la publication scientifique. La structure des articles scientifiques est standardisée et tous possèdent un DOI (Digital Object Identifier) unique.
L’Ostéo4pattes se présente comme une revue d’ostéopathie comparée qui s’intéresse à la fois à l’ostéopathie humaine et vétérinaire. On y trouve des articles rédigés par des ostéopathes, ainsi que des informations relatives à des stages ou des congrès majoritairement axés sur l’ostéopathie. Mais aussi sur d’autres sujets comme la communication animale. Notons qu’il s’agit d’un site francophone, impliquant donc une visibilité à l’international très restreinte. L’Ostéo4pattes ne se revendique pas revue scientifique selon la définition précédente. Elle n’est pas référencée dans les moteurs de recherches comme Google Scholar ni dans des bases de données scientifiques. De ce fait, elle n’a aucun “impact factor” évaluant sa visibilité dans le monde de la publication scientifique et ses articles ne sont pas référencés par un DOI.
- 6site internet de l’Ostéo4pattes : https://www.revue.sdo.osteo4pattes.eu/ dernière consultation le 02/08/2022
Je trouve tout à fait déplacé de mettre la phyto dans les médecines alternatives. Les plantes contiennent des principes actifs puissants, par exemple l’acide salycilique 😬 et il existe des données dessus en EBM…
A l’art ça il y a bien une ostéopathie purement mécanique il me semble
Effectivement, il y a bien une ostéopathie « mécanique » (voir encart 1).
Mais les principes initiaux de ce type d’osteopathie n’ont pas de validité scientifique particulière (la mysterieuse « voie de l’artère » par ex)