Revues de médecine complémentaire et alternative et preuves

Par zeteditor
Médecine complémentaire et alternative

Pour faire suite à l’article sur la loi de Brandolini voici une position fort utile. Les contempteurs des pseudo-médecines aiment citer de nombreuses publications issues de revues de médecine complémentaire et alternative. Cet article traduit de l’anglais, à partir de l’article « CAM journals and evidence, Why CAM Journals Just Cannot Be Accepted As Reliable Evidence » du blog intitulé Rational Veterinary Medicine, https://rationalvetmed.net/, montre pourquoi ces références peuvent être ignorées.

Lien vers l’article original : https://rationalvetmed.net/information/cam-journals-and-reliable-evidence/

L’auteur du billet original a co-écrit un livre “No Way to Treat a Friend: Lifting the Lid on Complementary and Alternative Veterinary Medicine (Evidence Based Science)” (Lien vers Amazon.uk)

Pourquoi les revues de médecine complémentaire et alternative (MCA) ne peuvent pas être admises comme source de preuves solides

Les homéopathes adorent les preuves : ils les distribuent à la tonne et lancent publications et citations dans les conversations comme des confettis. Il y a, nous dit-on, largement de quoi prouver que l’homéopathie est efficace, il suffit de chercher. Cependant, dès qu’on cherche, la grande majorité sinon la totalité de ces « preuves » manque. En particulier, les références issues d’une des nombreuses revues pro-homéopathie disponibles seront probablement rejetées sans plus de considération.

Un tel refus global de preuves uniquement en raison de leurs sources peut sembler déloyal. Après tout, plusieurs de ces revues possèdent un comité de lecture, comme les revues conventionnelles reconnues. Dans ce cas, comment un commentateur sérieux peut-il justifier de les ignorer ? On peut trouver plusieurs explications à cela, mais il y en a deux principales : le biais de publication et le manque de crédibilité scientifique.

Le biais de publication :

Le biais de publication consiste pour une revue en la publication sélective de certaines études et pas d’autres. Notamment, les revues ont tendance à publier les résultats positifs, davantage que des résultats négatifs ou non-concluants. Après tout, c’est dans la nature de l’Homme : personne n’a envie de lire que dans des essais qui ont coûté des millions, des centaines de patients ont reçu pendant des mois un traitement et qu’on n’est finalement pas capable de dire si ce dernier fonctionne ou non !

Souvent, la raison derrière le biais de publication est simplement que les chercheurs ne vont pas soumettre des études non-concluantes ou défavorables. Ainsi, les cyniques diront : « Ce sont les affaires » : si une revue perçoit des revenus de la part d’un grand fabricant de médicaments MegaPharm©, alors peut-être cette revue sera-t-elle moins encline à publier des articles suggérant que les produits de MegaPharm© ne sont pas vraiment efficaces (bien que, dans ce cas, on parle plutôt de biais de financement).

Le biais de publication est bien connu comme un phénomène universel. La raison pour laquelle les revues d’homéopathie ont un tel problème de crédibilité, c’est que le biais de publication y est juste énorme. D’après Schmidt et al. (2001a), en 1995, 99% des papiers publiés dans une revue de MCA présentaient des résultats positifs – et c’est stupéfiant ! Six ans plus tard, ce chiffre est descendu à 95%, mais il représente toujours un pourcentage incroyablement bas de résultats négatifs ou non-concluants, un chiffre qu’on n’observe pas dans les revues conventionnelles. Les auteurs le décrivent comme « infime » dans une lettre au British Medical Journal (BMJ) envoyée la même année (Schmidt et al. 2001b). Enfin, tandis que les revues conventionnelles prennent des mesures pour réduire le biais de publication en refusant les publications non inscrites préalablement sur une base de données électronique, on n’observe pas ce genre d’effort de la part des revues de médecine alternative.

Le genre d’articles qu’on trouve dans les revues de MCA évolue selon une orientation qui garantit presque les résultats positifs : l’étude Schmidt et al. (2001a) rapporte que le nombre d’essais cliniques dans ces publications diminue de 4% entre 1995 et 2000, quand le nombre d’études par questionnaire (qui sont bien moins fiables que les essais cliniques) est multiplié par 6.

Les homéopathes eux-mêmes restent ambigus sur la nature du biais de publication dans la parution d’études cliniques. Dans une étude de faible envergure (Caulfield and DeBow, 2005), les auteurs se plaignent des mots « durs » utilisés par les revues conventionnelles à propos de l’homéopathie et affirment à tort que ceux-ci ont mené à un « biais de publication », supposément démontré par leurs résultats : 65% des études sur l’homéopathie publiées dans ces revues conventionnelles étaient défavorables, comparé aux 30% de résultats défavorables retrouvés dans les revues de MCA. En réalité et malgré l’hypothèse fallacieuse des auteurs, le biais de publication fonctionne à l’inverse de ce qu’ils prétendent. Les revues classiques n’ont pas de préjugé négatif à l’encontre de l’homéopathie : le souci, c’est que les revues de MCA sont trop exemptes de sens critique à l’encontre de cette pratique quand il s’agit de publier sur le sujet. Selon le blog de Gimpy, la justification de ce préjugé allégué aux grandes revues est inexacte : les prétendus mots « durs » ont été sortis de leur contexte ou simplement mal cités. C’est dire à quel point la volonté d’exactitude est limitée chez le chercheur pro-homéopathie lambda, tant qu’elle lui permet de conclure ce qu’il désire.

De plus, les lacunes des homéopathes en termes de méthode scientifique ont mené les auteurs à insinuer que le ton sceptique utilisé dans les introductions de nombreuses études était inapproprié. Ils semblent avoir oublié que la recherche scientifique est toujours sceptique par nature, ce qui, à nouveau, est très révélateur de l’attitude des homéopathes vis-à-vis de celle-ci.

La recherche en homéopathie :

Ceci m’amène à mon second point : l’attitude des homéopathes vis-à-vis de la recherche. Toutes personnes ayant l’habitude de lire des articles scientifiques, quel qu’en soit le sujet, et en particulier celles qui ont soumis des articles elles-mêmes, savent à quel point le processus de publication est froid, précis et réglé. Les hypothèses, les méthodes, les statistiques et les conclusions sont d’abord impitoyablement disséquées par les pairs relecteurs et les éditeurs ; puis, si le papier est accepté, après la dixième réécriture environ, il sera sujet aux mêmes critiques, tout aussi impitoyables, de la part des lecteurs, qui scruteront et commenteront chaque aspect de l’étude. C’est l’essence même de la méthode scientifique : cette épreuve du feu qui permet à une hypothèse d’être pesée et prouvée et ce, seulement après que les résultats aient été ou non acceptés comme étant valides.

Quand ce processus est appliqué dans le cadre de la recherche en homéopathie, l’histoire est complètement différente. Plutôt que d’entrer dans un débat scientifique rationnel, les chercheurs pro-homéopathie s’indignent de la moindre critique et se montrent plus que perplexes dès lors que leur article n’est pas pris pour argent comptant. Le problème, c’est que tout homéopathe est tellement convaincu de sa propre expérience personnelle, qu’il sait d’avance que l’homéopathie est efficace et la recherche dans ce cas ne doit servir qu’à confirmer cette vérité pour les non-croyants et les sceptiques (pour plus de détails et de références, voir cet article https://rationalvetmed.net/scepticism-about-homeopathy/Traduit en français ici-). Les critiques des études pro-homéopathie sont alors accusés d’avoir des préjugés, des motivations politiques, d’être sexistes, impérialistes même et d’être enfermés dans leurs mentalités dépassées et ignorantes des processus quantiques (qui n’ont absolument rien à voir avec l’homéopathie). On affirme que les essais cliniques conventionnels ne sont pas adaptés à la pratique de l’homéopathie et que de nouvelles formes d’évaluation telles que les « essais pragmatiques », les « études observationnelles » (Shekelle et al. 2005) et les essais en « dual-blind » (Caspi and Millen, 2000) devraient être employés. (sic. Le « dual-blind » est différent du « double-blind » ou « double- aveugle », où le médecin et le patient ignorent quel traitement est donné. Dans le cadre de l’étude en « dual blind », le médecin sait quel traitement est administré, mais le patient et un évaluateur extérieur l’ignorent.) Toutes ces méthodes sont de bons moyens de placer la barre plus bas, afin que la recherche pro-homéopathie puisse générer plus d’études creuses donnant l’apparence de résultats concluants. Ainsi, cela fournit davantage de fausses informations avec lesquelles bombarder les gens, sachant que cela n’a guère d’importance qu’elles soient fallacieuses, ces gens étant crédules et prenant ce qu’on leur dit pour argent comptant. La plupart des gens ne vérifient pas les sources et savent encore moins repérer les défauts et autres écueils d’une étude scientifique.

Conclusion :

Récapitulons : on ne peut pas faire confiance aux études publiées par les revues de MCA, à cause de leurs biais, ainsi que de leur manque d’esprit critique et de rigueur scientifique. Tandis que l’objectif de toute bonne étude scientifique est de tester une hypothèse, celui d’une étude en homéopathie conduite par des homéopathes est de prouver que l’hypothèse est vraie (l’hypothèse étant que l’homéopathie est efficace). La différence est subtile mais significative. Ce que cela signifie, c’est que lorsque l’hypothèse d’un scientifique s’avère non supportée par les résultats obtenus, il la réfutera ou au moins la reformulera, mais un homéopathe dans la même situation soutiendra fermement que ces résultats sont incorrects puisqu’ils ne confirment pas ce qu’il sait être vrai.

C’est pourquoi je ne m’excuserai pas de rejeter par défaut toutes les « preuves » émanant de ce qu’on décrit aujourd’hui comme des « revues spécialisées » en homéopathie, dont les comités de relecture sont constitués entièrement d’homéopathes et qui ont un intérêt direct à maintenir l’illusion d’un bénéfice de l’homéopathie (s’il n’y en avait pas, ils se retrouveraient sur la paille !). Si je voulais une information de qualité et objective à propos du dernier médicament innovant développé par MegaPharm©, je ne lirais certainement pas la gazette mensuelle de MegaPharm©. Je ne lirais pas non plus une revue de MCA pour obtenir des informations fiables et impartiales à propos d’une pratique médicale qui prétend guérir le cancer grâce à des granules d’eau et de sucre.

Références :

Caspi, O., Millen, C. and Sechrest, L. (2000) ‘Integrity and research: introducing the concept of dual blindness; how blind are double-blind clinical trials in alternative medicine?’, Journal of Alternative and Complementary Medicine, vol. 6, no. 6, pp. 493-498.

Caulfield, T. and DeBow, S. (2005) ‘A systematic review of how homeopathy is represented in conventional and CAM peer reviewed journals’, BMC Complementary and Alternative Medicine, vol. 5, no. 12.

Schmidt, K., Pittler, M.H. and Ernst, E. (2001a) ‘A profile of journals of complementary and alternative medicine’ Swiss Med Weekly, vol. 131, pp. 588-591.

Schmidt, K., Pittler, M.H. and Ernst, E. (2001b) ‘Bias in alternative medicine is still rife but is diminishing’, British Medical Journal, vol. 323, no. 7320, p. 1071.

Shekelle, P.G., Morton, S.C., Suttorp, M.J., Buscemi, N. and Friesen, C. (2005) ‘Challenges in Systematic Reviews of Complementary and Alternative Medicine Topics’, Annals of Internal Medicine, vol. 142, no. 12 (Part 2), pp. 1042-1047.